L’Introvertie Qui Voulait Être Extravertie

Comment j’ai ruiné une (large) partie de ma vie en portant le costume d’une autre ?

On ne choisit pas ses parents ni sa famille, et peut-être que le trottoir sur lequel j’ai appris à faire du vélo, comme presque nous tous, n’était pas forcément le mieux adapté à ma personnalité… alors l’introvertie vulnérable dans son entourage a dû établir des stratégies de survie. Voici comment je me suis perdue et retrouvée, mais bien trop tard.

La France, cette République élégante applique le principe d’égalité (des chances) républicaine : on ne paie pas pour s’instruire, et poursuivre un cursus supérieur au sein d’établissements publics est fréquent. Cependant, même si ces opportunités sont disponibles à tous sans discriminations, l’égalité existe-t-elle ? Chaque individu présente des composantes individuelles, spécialement en préférences cognitives : l’équité, demeure un idéal. Pareillement socialement, et éventuellement cette réalité vaut pour tout : gommer les aspérités de chacun permet d’exister à peu près correctement à l’intérieur d’un moule un peu trop petit ou trop grand, avec un impératif : s’ajuster (considérablement).

Le moule, ce creuset, certains ne peuvent même pas y glisser le pied.

Et c’est ce que se produit pour une minorité, cumulant les mandats en divergences, ayant pour tâche de lisser toutes leurs piques et bosses, pour ne laisser paraître qu’un infime masque insignifiant, permettant de vivre sans attirer l’attention sur soi. Quoi de pire pour un introverti que d’être le centre de l’attention ? … et le paradoxe c’est qu’en cherchant à se faire oublier, on ne parle que d’elle : l’inapte. Je n’étais pas si remarquable actrice, puisqu’on me faisait observer précisément tous mes échecs à me conformer.

 La gloire dépend du succès. Le succès dépend du génie et de la conduite, mais l’orgueil prend soin de rejeter sur la fortune les fautes de l’un ou de l’autre. 

Philippe-Auguste de Sainte-Foy 

Des années sombres.

On ne peut pas chercher un bonheur en dehors de soi : le mode d’emploi est inversé, bien que l’on nous fasse croire que l’argent et ses glorioles soient des refuges permettant de se payer sa tête, on oublie que l’esprit est trop sophistiqué pour lui faire passer une vessie pour une lanterne. On ne dupe pas aussi facilement l’insatisfaction avec une popularité grossière, une imposture. À part assimiler des coups, rien n’attend ceux qui se rebellent contre eux-mêmes. Une bonne imitation tient quelques secondes, et je peux l’affirmer sans ciller : tout le monde sent la divergence, et la rejette, même couverte des maquillages de voiture volée.

La peur est une mort de chaque instant.

 Cioran

Le rejet est l’histoire de ma vie.

Les imitateurs, même les plus doués font illusion 10 à 20 secondes et ça n’est déjà pas si mal, et c’est aussi l’étendue d’efficacité de mes performances. Un introverti ne peut pas passer pour extraverti pour deux raisons : on ne change pas sa couleur d’yeux, le tempérament c’est comme des lentilles de contact de couleur, on les distingue en quelques secondes, et le regard fixe laisse souvent perplexe. En second, parce que les mauvais choix s’accumulent et que l’on finit dans un cul-de-sac, obligeant à remettre les compteurs à zéro. On est bloqué, et la sortie de cette période-là est la plus douloureuse qui soit. Une introvertie masquée, vit des séparations à répétition, des rejets accumulés, des souffrances cumulées, et des abandons à répétition.

 La mort n’est pas une fin, elle peut être un commencement, une naissance ou un voyage. 
 

Marguerite Yourcenar

Le masque extraverti en catalogue.

Comme tout introverti, je déteste en révéler trop sur moi, et écrire ces billets me terrifie. On ne peut pas passer une vie entière dans une imposture sans y laisser l’essentiel. Je suis décédée avant mon 10ᵉ anniversaire, laissant mon ectoplasme ruiner la réputation de sa défunte. On ne meurt pas sans souffrance, mais moi je suis morte petit à petit : j’étais moi, réservée, silencieuse et fragile, et pour survivre j’ai emprunté le costume de Caligula. Le reste est d’une grande banalité, j’ai menti en permanence, personne ne m’aimait et pour cause, j’étais un pitbull enragé et malheureux, enfermé, attendant sa piqûre. Les années ont passé, j’enviais les vrais introvertis : désolée pour ceux qui présument que j’enviais les autres, les extravertis, non. Je ne les supportais pas, je les méprisais en secret, je savais faire comme eux, un rictus de dégoût sur les lèvres.

 Quand l’amour est réellement mort, on ne le ressuscite pas. 

Victor Cherbuliez 

Ne plus aimer les gens : le rejet (mutuel).

Le ressentiment n’est pas le compagnon le plus honorable et plaisant, d’autant que c’est souvent soi que l’on ne supporte plus, quand on s’enferme dans le mensonge de l’imposture : peut-être que si j’étais née ailleurs autrement, je n’aurais pas dû emprunter cette vilaine robe aux couleurs joyeuses, car elle ne m’allait pas du tout comme un gant. La solitude entourée d’autres, voire à deux quelquefois, des voies sans issues souvent, et les somatisations de tous mes maux refoulés. On refoule, certes, mais pas assez profondément, et la rancœur devient la seule amie fidèle : parce que les autres, eux, ne restent pas… Et je ne les rattrapais pas non plus. Une série des plus noires, finit par ne laisser que d’autre choix que de retourner sur ma tombe et tenter de me ressusciter. Nihiliste certainement, triste assurément.

 La mort n’est que l’interruption de l’échange entre l’âme et le monde. 
 

Novalis 

Sortir du placard.

D’abord je cachais mes inaptitudes empathiques : mes comportements sont toujours inappropriés, je ne sais jamais ce qui convient de répondre ou dire, on me reprenait souvent en résultant une honte toxique persistante. Je voulais être comme les autres, aussi j’apprenais toutes les postures que les autres femmes et filles exhibaient : j’agissais, avec maladresses, mes rires forcés, et mes yeux au regard figé finissait par se remarquer. ET mes inachèvements ne faisaient pas mouche : j’étais épuisée, compenser des cognitions inexistantes ne m’a rien apporté, si ce n’est que des ennuis. Faire semblant est inhumain. Un véritable introverti ne peut pas se lever chaque matin pour attendre un lever de rideau : la pièce de théâtre que l’on joue sans adresse est aussi médiocre que son épilogue. L’épisode de dépression majeure.

Passant, ne pleure pas ma mort – Si je vivais tu serais mort….

Apocryphe anonyme attribué à Maximilien de Robespierre

Le syndrome de l’imposture.

Différent de l’autre, celui de l’imposteur, car dans le cas de l’imposture, on sait très bien que l’on vit une tromperie chronique et qu’en l’occurrence, je suis une imposteure, une vraie. Une introvertie cherchant à entrer dans un moule trop grand, parce qu’un modèle plus petit aurait pu sauver ma vie d’avant. L’inauthentique plaisante bougresse que j’ai prétendu incarner, sans talent il faut le reconnaître, l’introvertie morte me la réclamait comme son dû, me reprochant de lui avoir gâché le peu de temps alloué sur terre.

La mort ne peut plus m’enlever ma vie. 

Marcel Conche

La vie après la mort.

Les morts-vivants existent en vérité, ils font comme tout le monde, cependant dedans la fougue a déserté. Il est possible qu’en corrompant ma nature réservée, je me sois suicidée, et n’ayons plus jamais peur des mots, ils nous concèdent de ne pas s’enterrer davantage et plus profondément. Les pieds devant, six pieds sous terre, l’introvertie vit des contentements intenses autrement, mais le comprendre m’a coûté la vie.

TheIntrovertSinger

Les citations sont extraites du site Mon Poeme.fr

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